Jeudi 12 juin 2024
La Bourse du Travail, 17h
Migraaants – une histoire sans fin… 

Si l’origine du mot théâtre provient du le verbe grec « theaomai » qui signifie « regarder, contempler »
alors le théâtre devient  le lieu d’où l’on voit, d’où l’on regarde!
Mais d’où parle-t-on ?

C’est la question que l’écrivain et journaliste Sorj Chalandon se pose en tant qu’auteur, question qui sous-entend : « d’où viens-tu, qu’est-ce qui, dans ton histoire sociale, personnelle, et dans ton positionnement politique, et de citoyen, te permet d’aborder tel sujet, et comment ? »

Telle devrait être la question à se poser pour chaque comédien avant d’entrer sur un plateau , avant de porter un texte sur les planches, et d’en donner à entendre, son sens, son rythme et son essence scénique.

Telle est la question que s’est posée le dramaturge Matei Visniec, qui submergé et profondément touché par les informations et les images qui rendaient compte de ce qui se passait en Méditerranée, a écrit cette pièce sous l’effet émotionnel et médiatique du phénomène migratoire de l’été 2015 quand environ un million deux cent mille migrants ont traversé le Méditerranée pour s’installer en Europe. ⁽¹⁾

La guerre en Syrie était l’une des causes de cet exode mais, rappelez-vous, que dans ce même temps la Turquie exerçait alors un chantage migratoire sur les décideurs européens. C’est cette complexité du réel que nous donne à prendre conscience l’auteur, en opposition aux discours du politiquement correct, des polémiques de plateaux de télé, de cette culture médiatique du « buzz » et de l’utilisation stratégique de la langue de bois.

Alors, comme le préconisait Bertold Brecht en conseillant à ses comédiens de se faire sociologue du monde qu’ils les entouraient, en s’immergeant dans des microcosmes sociaux pour en connaître leurs réalités toutes singulières (usines, banques, entreprises…), avec cette classe-théâtre de second cycle, nous avons donc amorcé un travail de recherche sur un des phénomènes contemporains des plus complexes et des plus exponentiels de notre histoire moderne : la migration humaine.

⁽¹⁾Citation Matéi Visniec 2022 Préface Migraaants

Sans artefact et dans une forme théâtrale dite « dépouillée »
Dépouillée des outils du théâtre et de la fiction,
du faux semblants,
juste un lieu,
cette fameuse Bourse du Travail,
un plein feu,
des costumes sommes toutes très rudimentaires,
une scénographie n’utilisant que l’espace proposé,
et un public intégré  dans ce « parcours » immersif, Mi- assis, Mi- debout et donc Mi-grants également,
Il s’agira pour les comédien(ne)s de donner à entendre ce texte
sans didactismes,
dans une forme brute du jeu, sans apriori aucun,
sans leçon,
sans morale à donner,
et de révéler toutes les contradictions dont sont porteurs cet éventail de personnages que l’on appelle les « Migrants ».

Ne serait-ce pas un « acte artistique » pour des comédiens de donner à voir un monde contemporain extrêmement mouvant,
à en percevoir son immense complexité  et ses contradictions,
et à tenter dans démêler les différentes strates de réalités,
à l’instar  d’un archéologue courbé et penché, et pensant les possibles scénarios du passé ?

A l’heure où il faut prendre parti,
être pour,
être contre,
fasse à un monde où la simplification sémantique semble devenir une arme de communication redoutablement efficace (un slogan, une image, un teaser, une bande annonce, une pub, un réel…telle une novlangue* orwelienne ), seule la nuance, la curiosité, la précision et la perspicacité , le travail somme toute, nous permettront de tendre vers une justesse et une pensée libérée d’une idéologie dominante.  Me concernant c’est, pour sûr, un « acte pédagogique » !
Et le théâtre un art qui cultive cette nuance au monde.
“Pourquoi vouloir dès maintenant nous montrer si intelligents quand nous pourrions tout juste être un petit peu moins bêtes ?” (Galileo Galilei – Bertold Brecht) 

Damien Boutonnet (artiste-enseignant)

*L’idée fondamentale du novlangue est de supprimer toutes les nuances d’une langue afin de ne conserver que des dichotomies qui renforcent l’influence de l’État, car le discours manichéen permet d’éliminer toute réflexion sur la complexité d’un problème : si tu n’es pas pour, tu es contre, il n’y a pas de milieu.

« Quant au phénomène migratoire, il a commencé en effet avec l’histoire de l’homme et finira avec l’histoire de l’homme. Malgré la promesse d’un paradis après la mort, promesse entretenue par presque toutes les religions, l’homme cherche instinctivement durant sa vie terrestre un cadre viable et l’oxygène de la liberté. Ni les mers, ni les murs, ni les frontières ne pourront jamais freiner ce mouvement nourri par la nature même de l’être humain. Il va peut-être s’atténuer un peu seulement le jour où toute la planète deviendra un espace vivable, équitable et respirable. Ce rêve n’est pas pour demain, mais en même temps, c’est la seule solution pour que l’aventure humaine sur la Terre ne tourne pas au désastre, au chaos et à la barbarie. »
Matéi Visniec – 2022

Distribution :
Carrere Nina
Cherrier Jeanne
Demonet Court Noémie
Di Schino Elsa
Letalle Margault
Marty Orane
Mattei Luca
Moretti Gina
Salançon Louan
Blanc Alice
Gaillot Noa
Ragonot Marie

Remerciements : Bourse du Travail, La Scierie, Association Rosmerta, Le conservatoire et bien sûr remerciement à tous les élèves pour leur implication sans faille.